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Centre intégré universitaire
de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal

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Alternatives à l'urgence

Il y a actuellement une grande pression sur le réseau de la santé. Il existe d’autres options que l’urgence :

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Démystifier l’endométriose

Marie-Josée Thibert est une femme accomplie, versatile et polyvalente. Elle travaille comme conseillère en communication dans le réseau de la santé et des services sociaux depuis 2009.

En plus de son travail au CCSMTL, elle est aussi la fondatrice d’Endométriose Québec, un organisme à but non lucratif dont la mission est de représenter les personnes atteintes d’endométriose, de démystifier la maladie, d’offrir les options de traitements et les pistes de solution, de sensibiliser la population à cette maladie et d’encourager la recherche sur cette dernière.

Elle vient également de publier un livre sur le sujet, en collaboration avec Aïssatou Sidibé, fondatrice de Vivre 100 Fibromes, aux éditions Trécarré : Endométriose et fibrome utérin. De la souffrance à l’action. Ce livre est l’outil éducatif que les autrices auraient aimé avoir sous la main à une autre époque. Il part d’une intention commune très claire, celle de partager leur histoire avec la maladie, mais aussi de partager de l’information vulgarisée de qualité (en collaboration avec des professionnelles engagées), de même que des outils concrets de reprise de pouvoir sur sa santé. Ce livre est une dédicace pour toutes celles qui souffrent en silence et se veut un gage d’espoir pour les générations à venir.

Marie-Josée a accepté de répondre à quelques questions d’entrevue, qui vous permettront de mieux connaître la femme et l’autrice !

Bonjour Marie-Josée ! On peut dire que tu portes plusieurs chapeaux. Tu es une employée du réseau, fondatrice d’un organisme bénévole, autrice et tu souffres d’endométriose. On a l’impression que tu n’arrêtes jamais et pourtant tu as l’air si zen. Comment trouves-tu ton équilibre en jonglant avec tout ça ?

Oh merci pour les bons mots! La recherche d’équilibre est un travail de tous les jours. Je ne suis pas zen en tout temps, je te le confirme. Je suis humaine et parfois même cordonnier mal chaussé ! Mais mon truc, c’est de poser des actions dans le respect de l’énergie que j’ai. Au jour le jour. De prioriser ma santé. Mon bien-être. Et de partager le surplus! Haha! Certaines semaines, j’en fais plus que d’autres. Cela dit, je n’ai pas l’impression de jongler avec tant de choses que ça. Je donne souvent l’exemple de mes collègues qui, lorsque la journée de travail se termine, débutent un autre quart de travail à la maison, avec les enfants : les devoirs, le bain, la routine du dodo… Je n’ai pas eu la chance de connaître ce bonheur-là, à cause des conséquences irréversibles de l’endométriose sur ma santé, mais je n’ai pas l’impression que je travaille plus fort que les femmes qui m’entourent. On a toutes le même nombre d’heures dans une journée, on les utilise simplement différemment. Le samedi matin, il n’y a pas de cours de natation ou de soccer chez nous. Je réponds à des courriels de femmes de la communauté en prenant mon café. Et je ne suis pas seule. Je suis entourée d’une équipe d’une dizaine de bénévoles. Toutes des femmes atteintes d’endométriose.

Ton cheval de bataille est de démystifier l’endométriose, une maladie chronique encore méconnue aujourd’hui. On entend de plus en plus parler de l’endométriose. Mais, qu’est-ce que c’est au juste ?

C’est une maladie inflammatoire chronique. Gynécologique, d’abord, mais avec des conséquences dans tout le corps. Les causes exactes de l’endométriose ne sont pas encore connues, mais elles seraient, entre autres, génétiques, immunitaires et hormonales. Ce n’est pas une infection. Ça ne s’attrape pas. C’est une maladie qui peut être très douloureuse. 70 % des personnes qui en sont atteintes ont des douleurs chroniques. Un certain nombre sont asymptomatiques.

L’endométriose, c’est lorsque du tissu semblable à l’endomètre – le tissu qui tapisse la paroi interne de l’utérus – s’implante à l’extérieur de l’utérus et sur les organes voisins.

L’endomètre, c’est ce qui se désagrège et entraîne un saignement lorsqu’il n’y a pas de fécondation : les règles ou menstruations. Ce tissu, peu importe où il se trouve dans le corps, réagit aux fluctuations hormonales du cycle et saigne chaque mois. Quand ce type de tissu est à l’extérieur de l’utérus, les saignements n’ont aucune issue vers l’extérieur du corps. Donc les cellules endométriales qui se détachent irritent les organes, s’accumulent, créé des kystes, du tissu cicatriciel, des adhérences qui relient les organes entre eux et causent des douleurs. L’endo, ça peut faire de gros dommages! Ce n’est pas « juste » une affaire de règles douloureuses.

Chaque cas est unique (ça ajoute un degré de complexité), mais on peut retrouver de l’endométriose sur les ovaires, les trompes de Fallope, les ligaments soutenant l’utérus, la vessie, l’intestin, les reins, et dans les cas plus graves, sur les poumons ou le diaphragme, dans les bras ou les cuisses, et très rarement, au niveau du cœur ou du cerveau. En fait, il n’y a qu’à la rate que l’endométriose ne se serait pas attaquée. C’est ce que nous dit la littérature.

L’endométriose n’est pas une maladie mortelle, mais elle a des répercussions sur la santé physique globale, la santé psychologique et la qualité de vie. Elle a des ramifications dans toutes les sphères de notre vie : privée, sociale, professionnelle, etc. C’est une maladie qui est très douloureuse, mais en plus, elle est méconnue, invisible, enveloppée dans les tabous et les mythes, etc. Pourtant, l’endométriose, ce n’est pas rare! C’est 1 à 2 femme(s) sur 10 qui en est atteinte. Et un nombre non comptabilisé de personnes trans ou non-binaires (personnes nées avec un utérus). On parle de plus d’un million de personnes au Canada.

Je crois que c’est souvent très long avant d’avoir un diagnostic. Les douleurs des femmes sont souvent prises à la légère, on leur dit : mets une bouillotte et couches-toi, ça va passer. Peux-tu nous parler de ton parcours à toi ?

Oui, le délai de diagnostic est encore aujourd’hui, en moyenne, de 5 ans au Canada. De mon côté, à l’époque, ça a pris 11 ans. Et tu as raison, ça débute souvent ainsi dans les familles. On se fait dire que grand-maman et maman ont bien souffert. Que c’est normal d’avoir mal. Alors on hésite à consulter. Mais ça n’a pas été mon cas. Mes parents ont pris mes douleurs au sérieux dès le début, mais ça arrive effectivement que c’est banalisé.

Mes premiers symptômes sont arrivés lorsque j’avais 14 ans. Les douleurs survenaient une fois par mois. Plus les mois, puis les années passaient, plus les douleurs et symptômes augmentaient. Un cas typique. Lors du diagnostic (j’avais 25 ans) je souffrais 24/7. Une laparoscopie a révélé que j’étais soudée dans l’endométriose. Mon utérus, ma vessie, mon intestin… étaient attachés par l’endométriose.

J’ai eu un petit répit après une chirurgie, mais l’endométriose, si elle n’est pas bien soignée, se comporte comme un cancer et les cellules peuvent se multiplier. Et c’est ce qui est arrivé. Si on résume, j’ai vécu des montagnes russes de 14 à 25 ans, un répit de quelques années, un retour des montagnes russes de 28 à 35 ans, un répit de quelques années puis des turbulences de 39 à 41 ans. Ça va beaucoup mieux aujourd’hui.

Il n’existe pas encore de traitement définitif à l’endométriose. Les médecins et les chirurgiens qui s’y connaissent sont encore trop peu nombreux. C’est une surspécialité. Je suis privilégiée car je suis suivie par un des meilleurs et c’est une des raisons pour lesquelles je vais mieux aujourd’hui. Mais mon mieux-être est aussi lié au fait que je me suis créé une petite équipe multidisciplinaire dans les dernières années. Et j’ai fait plusieurs changements dans ma vie. C’est du travail et des sous. Je sais que ce n’est pas accessible à toutes. C’est pour cela que j’essaie de transformer les choses.

Les douleurs chroniques sont très éprouvantes physiquement et mentalement. Mais, du côté d’Endométriose Québec, on mise sur le côté positif, la force et la puissance de la femme, vous êtes des guerrières, des Endowarrior. On mise aussi sur l’empowerment, en outillant les femmes, afin qu’elles reprennent le contrôle sur la maladie. Est-ce que c’est ce qui fait en sorte que le lien avec la communauté est si fort, selon toi ?  Qu’est-ce que ça t’apporte ?

Les guerrières, c’est un mouvement qui dépasse notre organisme. Ce sont des termes qui sont nés en Australie et aux États-Unis je crois. J’avoue que je me suis souvent sentie comme une guerrière en plein combat, donc je comprends que ce soit un symbole fort et rassembleur pour la communauté. Il arrive qu’Endométriose Québec embarque dans le mouvement.

Personnellement, sur ma plateforme Endo.Zen, ou je partage des contenus plus personnels, je préfère la douceur de la reprise de pouvoir au combat contre l’ennemi, la méchante endométriose. C’est moins épuisant. Ce que j’aime le plus, c’est outiller les femmes pour qu’elles comprennent ce qui se passe dans leur corps, et qu’elles puissent ensuite prendre des décisions éclairées et cheminer, un jour à la fois, vers la reprise de pouvoir sur leur santé. On est beaucoup dans la reprise de pouvoir parce qu’on peut facilement avoir l’impression que la maladie prend toute la place.

Ma paie, c’est de savoir que ces femmes ne se sentent plus seules. La souffrance et l’isolement, j’ai vécu et c’est probablement le moteur de ce que je fais aujourd’hui.

Qu’est-ce que ça signifie pour toi qu’il y ait un mois de sensibilisation à l’endométriose? Est-ce que tu penses que ça peut faire une différence?

Oui. Si l’Australie a adopté un plan d’action national en 2018 et que la France vient de mettre en place une stratégie nationale pour les personnes atteintes, c’est grâce au travail des organismes comme Endométriose Québec (ex. : EndoFrance, EndoMind, EndoActive, etc.) qui se sont mis à travailler ensemble, main dans la main avec les médecins, chercheurs et dirigeants gouvernements, pour faire avancer les choses. Et le momentum international que le mois de mars apporte aide grandement. Les femmes sentent qu’elles peuvent s’appuyer sur le mouvement et osent prendre la parole. La maladie porte plusieurs visages. Et en mars, on les voit !

Avec tout ce qu’on vient de se dire sur la force des femmes, on ne peut s’empêcher de mentionner la Journée des droits des femmes, qui a lieu chaque année le 8 mars, soit dans le même mois que la sensibilisation à l’endométriose. Les droits des femmes en matière de santé, est-ce que c’est aussi quelque chose qui te tient particulièrement à cœur ?

Clairement. Le 8 mars, on doit prendre le temps d’être reconnaissante pour les accomplissements des femmes des générations précédentes, mais il reste du travail à faire. À l’international, certes, mais au Québec/Canada aussi.

À Montréal, on a une bonne offre de services. On a des gynécologues qui s’y connaissent, des équipes multidisciplinaires dans les grands centres hospitaliers universitaires, des centres de la douleur, des professionnelles de la santé de divers secteurs, spécialisés en santé des femmes, etc. Mais l’offre ne suffit pas à la demande. Et si on habite en région rurale ou éloignée, on peut se sentir abandonnée. Les bons soins pour toutes les personnes atteintes, c’est mon souhait.

Tu changes la vie de nombreuses femmes et pour certaines, tu es devenue une héroïne. Est-ce que tu pensais avoir un tel impact dans la vie des autres? Qu’est-ce que ça signifie pour toi de pouvoir aider d’autres femmes ?

Je ne pense pas que je suis devenue une héroïne, mais on me dit souvent que je suis un peu la maman de la communauté. Ça me fait sourire. C’est davantage Endométriose Québec qui est devenu un ancrage pour les femmes atteintes. Mais je comprends ta question. Lorsque je donne des conférences, je reçois des messages de femmes de la communauté qui me touchent profondément. Et c’est sûr que ça me rend extrêmement fière. Quand une femme se tient debout, comme le disait Maya Angelou – écrivaine, documentariste et militante américaine -,  elle le fait, peut-être sans le savoir, pour toutes les femmes. Idem pour une femme qui ose prendre la parole. Elle en libère plus d’une! Le pouvoir de ce qu’on a créé, il est dans la sororité!

Tu as longtemps porté la cause à bout de bras, mais maintenant le mouvement de sensibilisation est en marche et grandissant à travers le monde, as-tu l’impression que cette sensibilisation a beaucoup changé le quotidien des femmes, quand à la perception de l’entourage face aux douleurs chroniques ?

Oui je pense que ça fait une grande différence. Les femmes peuvent s’appuyer sur nos actions pour sensibiliser leur entourage. Ça donne une crédibilité à ce qu’elles vivent. Elles viennent chercher de l’information, se sentent plus outillées et osent ensuite en parler. Et devenir des actrices de leur santé. Rien de plus beau que de voir des femmes ouvrir la conversation. Pour moi, il n’y aura jamais de meilleure campagne de sensibilisation que de partager son histoire.

La publication de ton livre, c’est un peu ton bébé. Penses-tu que ça peut devenir un outil pour de nombreuses femmes ? Peux-tu nous parler de ce livre ?

C’est dans cet esprit qu’on l’a écrit. Aissatou Sidibe, une collaboratrice devenue une amie, et moi, avons créé l’outil qu’on aurait aimé avoir sous la main à l’époque. Il contient de l’information factuelle sur les maladies, mais aussi nos récits personnels, des conseils de qualité, des témoignages, des explications de professionnels de la santé. C’est un outil éducatif qui a un pouvoir transformateur. Lorsqu’on comprend ce qu’on vit, on peut prendre des décisions éclairées et mettre en place des actions pour aller mieux.

Tu as tellement accompli de choses afin de faire connaître la maladie, est-ce que tu as d’autres défis à relever ?

L’organisme a un plan d’action, mais pas Marie-Josée. J’ai une vision très claire et j’avance vers celle-ci, un jour à la fois. Je suis une personne très intuitive. Je sais que je souhaite continuer à accompagner les femmes, d’une façon ou d’une autre. Je souhaite également, avec mes collaboratrices, aller à la rencontre des étudiants en médecine, créer une offre d’ateliers dans les écoles secondaires, afin de rencontrer les jeunes filles, mais aussi les garçons. J’ai vraiment envie d’outiller les ados. Quand je repense à la petite MJ… Si on m’avait expliqué tout ça à 14 ans… (silence gorge serrée) je n’aurais probablement pas vécu les conséquences irréversibles sur ma santé.

Mais je n’aurais probablement pas, non plus, fondé Endométriose Québec, écrit un livre, rencontré autant de femmes exceptionnelles, repris le pouvoir sur ma santé, etc. Comme quoi accepter son histoire et s’aimer à travers celle-ci est le plus beau cadeau qu’on puisse se faire.

Bravo à Marie-Josée pour son engagement et pour cette belle réalisation.

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